A l’occasion des 40 ans du Centre des Métiers d’art de la Polynésie française, dont elle est passée d’élève majeur de promo à enseignante, Heiata Aka se distingue encore par la qualité de ses créations artistiques. Dans le cadre de l’exposition des enseignants, anciens enseignants et élèves diplômés encore visible au CMA jusqu’au mardi 10 mars, l’artiste en gravure présente deux pièces remarquables. Une gravure imposante ainsi qu’une noix de coco entièrement sculptée. Artistes.pf revient sur les temps forts de l’année 2019 et les perspectives 2020 pour cette spécialiste de la « dentelle sur nacre ».
Peux-tu revenir sur l’ampleur de l’événement qui a lieu en ce moment au Centre des Métiers d’art ?
L’exposition présentée au CMA jusqu’au 10 mars rassemble deux choses : l’exposition des enseignants, anciens enseignants et élèves diplômés qui a lieu tous les deux ans, mais aussi, cette année, les 40 ans de l’établissement. C’est donc doublement un honneur pour moi d’y être présente par mes œuvres, ayant été étudiante par le passé et aujourd’hui enseignante en gravure.
Justement, dans le cadre de cette exposition, tu présentes une gravure sur nacre, peux-tu nous en parler ?
J’ai repris une nacre déjà exposée par le passé, qui symbolise mon identité artistique, et que j’ai étoffé. Cela me permet aussi de montrer l’évolutivité ma pratique artistique. Finalement, une pièce peut ne jamais être totalement achevée et peut par conséquent avoir plusieurs vies.
J’en profite pour préciser qu’aucune de mes gravures n’est réalisée au laser. Je suis plutôt contre, même si mon directeur tente de m’y convertir. Je veux montrer qu’une telle finesse est possible sans, et par une femme par-dessus le marché !
Cette fois-ci, tu as également accordé une place prépondérante à un autre support qu’est la noix de coco, plus rare dans ta pratique, quoi que déjà observée dans une précédente exposition.
Effectivement, et d’ailleurs cette noix de coco sculptée a une histoire incroyable ! Déjà par sa forme, sa taille, et ses mesures assez exceptionnelles. Cette noix de coco, c’est le fruit du hasard, on est tombées l’une sur l’autre dans une cocoteraie de Moorea. J’ai tout de suite su que je voulais celle-là, évidemment avant de savoir qu’elle aurait cette forme puisque je ne l’avais pas encore débourrée. La coïncidence rigolote c’est que le propriétaire de la cocoteraie m’a appris après que c’était une noix de coco qu’il avait fait venir des Marquises, et je suis moi-même Marquisienne.
Comment as-tu choisi d’intervenir sur cette noix de coco spéciale à tes yeux ?
Si par le passé, j’ai réalisé des pièces avec des motifs australes strictement linéaires et traditionnels, cette fois-ci je voulais quelque chose de plus déstructuré, de désordonné. Comme si j’avais secoué la noix de coco bien fort pour disperser les motifs. C’est d’ailleurs comme cela que je surnomme cette création : le « sens dessus dessous de l’univers invisible ». J’aimais l’idée de tout chambouler. C’est d’ailleurs une bonne métaphore du monde qui nous entoure, de notre cheminement en tant qu’autochtone, en tant que citoyen.
C’est d’ailleurs en quelque sorte une métaphore de ce que représente le CMA aujourd’hui : un patrimoine qui a risqué de disparaître des mémoires, nous, enseignants, qui sommes là à la fois pour le pérenniser et le renouveler, et les jeunes qui ne savent plus trop sur quel motif danser, comme j’aime à le dire souvent.
Pour revenir à la noix de coco, dès que j’ai vu sa morphologie, j’ai tout de suite décidé de la garder entière, de conserver les yeux et la bouche. Cela a été quelque chose de devoir la vider sans l’ouvrir. L’œuvre finale est en fait une noix de coco sculptée retournée, avec l’idée de renversement, pour amener les gens à se questionner sur ce que c’est réellement. Le doute est instillé dans l’esprit des gens.
L’œuvre achevée représente 40 heures de travail, et je n’en suis pas peu fière.
Maintenant que tu découvres la diversité et la richesse des œuvres proposées par l’ensemble des enseignants, anciens enseignants et élèves diplômés, que ressens-tu ?
Je suis évidemment très fière et émue d’en faire partie, et notamment auprès des anciens, comme Papa Timi. Bravo à eux qui malgré leur âge et les années, continuent à être d’une productivité remarquable. J’aime passionnément mon métier et être exposée aujourd’hui au CMA c’est toujours une sorte de consécration. Le stress et la compétition que cela peut engendrer sont des notions très positives parce qu’elles représentent un challenge. Car le stress et la compétition, au sens noble du terme, permettent de sortir autant d’une zone de confort et que ses matériaux de prédilection aussi.
En ce début d’année 2020, quel bilan ferais-tu de ton année artistique passée ?
L’année 2019 a été pour le moins sportive. Après avoir exposé en octobre 2019 à la Maison de la culture mes gravures et tableaux métalliques sur aluminium avec mon mari et notre société Art KE’A, j’ai été la première Polynésienne invitée en novembre en Nouvelle-Zélande par un collectif d’artistes océaniens au Musée de Waikato. Ce 9e rassemblement international d’artistes autochtones, intitulé Puhoro ō mua, Puhoro ki tua – 9th International Indigenous Artists Gathering célébrait la diversité de l’art autochtone contemporain. 100 artistes, 10 jours d’échanges sur le Marae Tuurangawaewae, Ngaaruawaahia, à Waikato, pour découvrir d’autres univers, partager des savoir-faire et fusionner des pratiques. J’ai notamment appris à travailler le jade. Pour l’exposition, j’ai présenté 3 gravures imposantes. J’ai évidemment beaucoup appris dans l’univers assez codifié et masculin de la sculpture-gravure. Il a fallu que je fasse mes preuves en tant que femme, jeune.
Enfin en décembre 2019, j’ai envoyé quelques œuvres à l’exposition « Maeva, art contemporain polynésien » à l’Université de Bretagne occidentale.
Quels sont tes projets pour 2020 ?
Déjà, je me remets de toutes ces émotions liées aux 4 expositions réalisées en 5 mois, et ensuite je m’atèle à la fois à la préparation des diplômes de mes élèves, sans oublier une exposition d’œuvres originales et sensibles que je prépare pour décembre avec mon mari Teva Fauura à la salle Muriāvai à la Maison de la culture.
Le mot de la fin ?
Mon clin d’œil de la soirée du vernissage le 28 février dernier :
- Tu fais de la magie Heiata…
- Non…je donne de l’amour
Exposition au Centre des Métiers d’art
Avenue du Régent Paraita à Papeete (face à Jeanina Meubles)
Jusqu’à mardi 10 mars, 8h-11h30 / 13h-15h30
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Rédaction web : Vaea D.
Crédits photos : Vaea D., CMA, Heiata Aka